Il existe un phénomène qui m’a toujours beaucoup amusée : il suffit de regarder quelqu’un bailler, pour s’y mettre aussitôt. Vous en avez sans doute déjà fait l’expérience et pu constater que vous reproduisiez souvent ce phénomène inconsciemment, même si vous n’avez pas sommeil, car il n’y a pas plus contagieux que le bâillement.
Mais pourquoi cela ?
Une équipe de psychologues spécialisés en neurosciences comportementales a étudié la question (Platek, Critton, Myers et Gallup – 2003).
Pour ce faire, des individus ont été conviés à participer à une expérience. La tâche consistait à regarder 24 séquences vidéo, présentant soit une personne en train de bailler, soit une personne en train de rire, soit une personne neutre.
Les participants étaient observés par les chercheurs à travers un miroir sans tain et ces derniers notaient combien de fois avaient-ils baillé, en regardant des vidéos qui montraient une personne en train de bailler.
Les résultats montrent que plus de la moitié des personnes ayant regardé un extrait avec un bailleur, baillaient à leur tour (alors que seulement 9% baillaient en regardant une personne en train de rire ou une personne neutre).
La deuxième partie de l’expérience cherchait à étudier pourquoi, face à quelqu’un qui baille, certains sont plus susceptibles de bailler que d’autres ?
Et figurez-vous que les personnes les moins sensibles aux bâillements des autres, seraient aussi celles qui savent le moins se mettre à la place des autres.
En 2012, une autre équipe de chercheurs (Haker et Rossler) a utilisé l’imagerie par IRM fonctionnelle pour visualiser l’activité neuronale durant la contagion du bâillement.
Et ils sont arrivés à la conclusion que la contagion du bâillement repose sur le même système neuronal que celui qui est actif lors de manifestations d’empathie.
Il y aurait donc une relation entre l’imitation d’un comportement et la capacité à se mettre à la place de l’autre, appelée en psychologie l’empathie.
Les neurones miroirs à l’origine de ce phénomène :
L’explication de ce phénomène se trouve du côté des neurones miroirs, ces neurones qui nous permettent de nous voir agir à la place de l’autre. Ils constituent une classe particulière de neurones corticaux, qui s’activent à la fois lorsqu’un individu exécute une action et lorsqu’il observe un autre individu en train d’exécuter une action.
Ces neurones miroirs ont été découverts par hasard, par un chercheur italien qui s’appelle Rizzolatti. Lui et son équipe ont découvert que lorsqu’un singe voit bouger devant lui un humain, ce sont ses neurones moteurs qui s’activent (les neurones qui s’activent habituellement lorsque l’on bouge) et non ses neurones visuels (les neurones qui s’activent lorsque l’on voit). Comme si le singe « bougeait » lui aussi, juste en voyant un humain bouger.
Les neurones miroirs représentent une des découvertes les plus importantes de la fin du 20ème siècle car ce mécanisme nous permet d’être dans une compréhension quasi immédiate de ce qui se passe chez l’autre : c’est à dire d’être dans l’empathie.
Et cela joue un rôle essentiel dans nos comportements sociaux.
Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que si l’effet miroir fonctionne sur le plan moteur, il fonctionne aussi sur le plan des émotions. Cela signifie que si quelqu’un en face de nous fait un sourire, exprime sur son visage une grande tristesse fait une mimique de peur ou gémit de douleur, avant même que notre cerveau analyse le sens de cette émotion, nous avons intérieurement et involontairement « fait » la même chose, à l’intérieur de nous, donc ressenti la même chose que lui.
Ça montre que nous avons tous, et de manière involontaire, la capacité incroyable d’identifier et de comprendre ce que l’autre ressent, aussi facilement qu’imiter un geste ou un bâillement.
Deviner ce que ressent l’autre, c’est ce que chacun de nous fait dans la vie quotidienne et c’est grâce à cela qu’une personne peut prendre en compte des souffrances qu’il n’a pas vécues lui-même et éprouver de l’empathie. Et la fonction miroir va permettre la compréhension des actions et des intentions de l’autre.
Toute la communication non-verbale qui émane de notre corps, de notre posture, de notre voix, de nos mimiques va en permanence exercer une influence sur l’autre et réciproquement.
Mais alors pourquoi certains sont moins empathiques que d’autres ?
Il semblerait que l’empathie soit en partie héréditaire (dans un tiers des cas) et cela constitue à l’heure actuelle un champ de recherches important. Par ailleurs, certains troubles psychiatriques empêchent l’empathie.
Les psychologues distinguent deux composantes de l’empathie : l’empathie cognitive qui est la capacité à reconnaître les pensées, les intentions, les désirs et les sentiments des autres, et l’empathie affective qui représente la capacité à y répondre avec une émotion appropriée. Aussi, les autistes ont un quotient d’empathie plus bas à cause d’un déficit d’empathie cognitive, alors que leur empathie affective peut rester intacte.
Les femmes ont un quotient empathique plus élevé que les hommes. La différence ne serait pas génétique, mais plutôt la conséquence de facteurs biologiques comme l’influence des hormones prénatales, l’éducation ou la manière de se socialiser.
Enfin, en dehors de la génétique qui agit seulement dans 10 % des cas, les facteurs environnementaux sont très importants. Grandir dans une famille où l’on fait attention aux autres, où l’on prend soin des proches, va permettre à l’enfant d’être plus sensible et de développer des compétences empathiques.
En conclusion, nos capacités d’empathie ont une composante innée et involontaire, de la même manière qu’on imite un mouvement et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Et si vous avez baillé juste en regardant l’image qui illustre cet article, vous êtes tout simplement quelqu’un d’empathique et c’est chouette non ? Tentez l’expérience et vous me direz !