Violences sexuelles sur les enfants : comment les prévenir ?

Un des sujets sur lequel on m’interroge souvent en tant que psychologue, en consultation comme dans mon entourage, est celui de la prévention des violences sexuelles chez l’enfant.

Selon une enquête de l’Unicef France, 81 % des victimes de violences sexuelles sont des mineurs et 94% des agressions proviennent de personnes de l’entourage (famille, proches, amis …) ou de personnes ayant un contact régulier avec l’enfant (éducateur, professeur, animateur).

Une étude de l’OMS de 2014, mentionne que 20% des femmes et 5 à 10% des hommes dans le monde, ont subi des violences sexuelles dans l’enfance et 1 victime sur 2 est agressée avant 11 ans.

Ces chiffres sont tellement alarmants qu’ils méritent qu’on s’interroge sur la manière la plus pertinente de protéger les enfants !

En tant que mère et en tant que psychologue pour enfants, je suis très touchée par le sujet. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’en consultation, les témoignages abondent et que je ne peux que constater les dégâts à long terme des agressions sexuelles, sur les enfants et sur les anciens enfants devenus adultes, qui sont blessés, abimés, traumatisés, des années après : troubles du sommeil et troubles anxieux, troubles du comportement alimentaire, troubles obsessionnels compulsifs, phobies, idées suicidaires, difficultés à entrer en relation et à faire confiance, faible estime de soi mais aussi douleurs chroniques, somatisations diverses etc…

Le sujet des violences sexuelles sur mineurs est délicat, complexe et difficile à aborder pour les parents, d’une part car ils sont terrifiés à l’idée que quelqu’un puisse faire autant de mal à leur enfant et d’autre part, conscients de leur responsabilité à protéger leur enfant, ils se sentent souvent démunis.

Si des campagnes de prévention ainsi que des livres d’information sur le sujet peuvent aider, cela ne remplace en rien le dialogue que l’on doit avoir avec nos enfants car la prévention se fait d’abord au sein de la famille. D’autant que ce sont surtout des proches qui abusent sexuellement des enfants : « C’était mon prof d’équitation, ça faisait trois ans que je faisais des stages avec lui et tout s’était toujours bien passé …. jusqu’à cet été-là » me racontait une patiente. Une autre patiente me parlait d’un membre de sa famille : « Je croyais que c’était normal… parce qu’il était très gentil avec moi et m’aimait beaucoup. Il a fallu que je devienne adolescente pour me rendre compte que ce n’était pas comme ça partout… ». Ou encore un patient qui me disait : « Mes parents travaillaient beaucoup et étaient souvent absents … il venait deux fois par semaine m’aider dans mes devoirs, toute la famille l’appréciait, ça faisait des années qu’on se connaissait et il a aidé tous mes frères et sœurs avant moi ».

Face aux conséquences dramatiques sur la santé physique et psychique des victimes, que peut-on faire en amont ? Comment parler aux enfants d’agressions sexuelles ? Comment les avertir sans les angoisser ? Quels mots choisir ? Que faire si mon enfant vient me raconter qu’il en a été victime ?

Voici quelques pistes de réflexion qui, loin de constituer un mode d’emploi, vous aideront je l’espère à amorcer le dialogue.

L’enfant et le rapport à son propre corps

La prévention commence en abordant le rapport au corps, le plus tôt possible. On adaptera les mots à l’âge de l’enfant en lui disant : « Ton corps t’appartient et tes parties sexuelles sont intimes, cela veut dire qu’il est interdit à qui que ce soit de les voir ou de les toucher ».

Pour leur toilette, les enfants doivent apprendre dès que possible à se laver les parties intimes tout-seuls. On peut les aider à se laver et à se rincer les cheveux par exemple, mais à partir d’un certain âge, il n’est pas nécessaire de leur laver tout le corps. C’est une façon de leur apprendre que même les parents n’ont pas de « droit » sur leur corps. Les professionnels de santé sont d’ailleurs formés à cela et demandent systématiquement aux tout-petits : « Tu es d’accord pour que je t’examine ?».

Parce que leur intimité leur appartient, en tant que parents, nos gestes doivent être pensés en amont : embrasser son enfant sur les fesses n’est plus adapté lorsqu’il n’est plus bébé. On prendra également soin de fermer la porte de la salle de bains et de préserver la pudeur des enfants, comme nous le ferions avec un adulte.

La notion de consentement dès le plus jeune âge

Le consentement n’est pas réservé aux relations hommes-femmes ou dans le cadre d’une rencontre amoureuse.

La notion de consentement concerne aussi l’enfant et doit être abordée dès qu’il est jeune. Il s’agit de demander à l’enfant s’il est d’accord ou pas d’accord avec quelque chose qui concerne son corps.

On peut lui donner comme exemple : « Si un autre enfant te fait un bisou sur la bouche, est-ce que tu es d’accord ? Si un enfant te prend la main sans te le demander, te touche les cheveux, est-ce que tu es d’accord ? » dans des termes simples et explicites.

Montrer à l’enfant l’importance du consentement commence dans la sphère familiale. Je pense au fait de ne pas forcer les enfants à faire un bisou s’ils ne le souhaitent pas, ou leur faire des chatouilles ou des câlins sans leur accord.

Cela peut paraitre anodin mais forcer un enfant à faire quelque chose qu’il ne veut pas avec son corps, c’est lui enlever sa singularité en tant qu’individu, le « chosifier » et rendre flou son rapport à son corps. Comme si son corps ne lui appartenait pas complètement, puisque l’adulte peut le contraindre à des bisous, des câlins alors qu’il n’en a pas envie.

Être à l’écoute des besoins de son enfant n’est pas juste un concept à la mode de l’éducation positive, cela passe aussi par le fait d’être à l’écoute de ce qui est nécessaire pour son développement psycho-affectif, même s’il ne le formule pas encore. Et bien évidemment, être respecté dans son corps fait partie des besoins de l’enfant. Il faut dire à son enfant qu’il a le droit de refuser un contact physique s’il se sent inconfortable ou mal à l’aise, avec une personne ou avec une situation.

Nommer les parties du corps avec votre enfant

Avant même d’aborder le sujet des violences sexuelles, il est important de nommer les parties intimes pour que l’enfant les identifie.

Les adultes craignent souvent d’utiliser un vocabulaire explicite car ils pensent, à tort, qu’il s’agit de parler de sexualité.

Or ce n’est pas de sexualité qu’ils parlent en nommant les parties intimes du corps, c’est de corporalité, de découverte, un peu comme face à un squelette dont ils nommeraient les différentes parties. C’est le manque d’information qui porte préjudice, pas l’inverse.

Lui apprendre à qui faire confiance

Si le sujet des agressions sexuelles est difficile à aborder, c’est justement parce les enfants font d’emblée confiance aux adultes et qu’on leur demande de s’en remettre à eux en cas de problème. Prévenir les violences sexuelles c’est donc aussi faire le point sur ceux à qui l’on peut faire confiance.

Les agresseurs sexuels demandent souvent à l’enfant de ne pas répéter ce qu’ils lui font, de garder ça en secret. Ils utilisent ce terme en sachant que les enfants aiment avoir leurs petits secrets mais on doit leur apprendre à distinguer un secret qui fait plaisir comme une surprise par exemple, d’un secret qui fait du mal. On peut expliquer à l’enfant qu’un secret qui fait du mal est un secret avec lequel il se sent inconfortable, dont il a honte ou à propos de quelque chose d’inapproprié.

Dans un but de prévention, on doit expliquer à l’enfant que certains adultes peuvent avoir des gestes déplacés envers les enfants et on doit leur donner des termes explicites : « un adulte qui te demanderait de te toucher ou de le toucher, ou qui te demanderait de te mette nu, tout ça est complètement interdit, même en te donnant quelque chose en échange, même en te menaçant ».

On emploiera plutôt les termes « être prudent » que « être méfiant », ce qui permet une nuance et évite d’être dans la crainte permanente.

Il faut ensuite apprendre à l’enfant à faire la différence entre un « toucher permis » et un « toucher interdit », lui dire de faire confiance à son ressenti en cas de malaise et de venir parler à un adulte de confiance en cas de doute.

Situations particulières : l’informer par des règles de prudence…

Avant d’aller en centre de loisirs, en colonie de vacances ou dormir chez des amis, il est important de rappeler ces règles de prudence, comme nous le faisons lorsque notre enfant s’apprête à traverser la rue tout seul pour la première fois.

On rappellera aux enfants que si quelqu’un exige d’eux quelque chose qu’ils ne souhaitent pas faire, en particulier s’il leur demande de ne pas le répéter, ils doivent absolument le refuser.

Amour et sexualité à distinguer

On doit également apprendre à l’enfant à différencier amour et sexualité : la sexualité est réservée aux amoureux et même si un adulte « l’aime » au sens affectueux du terme, il n’a pas le droit de se comporter comme un « amoureux » avec un enfant.

Violences sexuelles : les signes qui pourraient nous inquiéter en tant que parents

Si un enfant manifeste des changements dans son comportement, s’il se met à manger moins ou beaucoup plus, s’il dort mal, s’il a des comportements sexualisés envers les adultes, s’il se gratte les partie génitales ou simplement si vous constatez qu’il devient différent de manière surprenante, il faut établir un dialogue, questionner et surtout … écouter pour éviter de surinterpréter.

Et si notre enfant vient nous raconter qu’il a subi une agression sexuelle ?

La première chose à faire est de le croire !

Un enfant ne ment jamais à propos de ces choses-là car raconter une agression sexuelle est douloureux et le place dans une position extrêmement inconfortable.

Il ne faut surtout pas culpabiliser l’enfant de ne pas su avoir su dire non et on doit lui rappeler que ce qui est arrivé n’est pas sa faute, que ce n’est pas à cause de lui mais à cause de l’adulte en question.

C’est important de montrer son soutien indéfectible mais aussi d’essayer de garder son calme pour ne pas que l’enfant s’arrête de parler, qu’il s’en veuille de nous inquiéter ou qu’il ait peur qu’on se fasse du souci à cause de lui.

Ensuite, il faut absolument emmener l’enfant consulter un professionnel, comme un psychologue pour enfant formé à la prise en charge de psychotraumas liés aux violences sexuelles. Un professionnel formé possède les outils pour traiter les syndromes de stress post traumatique et saura écouter puis trouver les mots.

Enfin, informez votre enfant de la possibilité de porter plainte et de signaler l’agression à la police. Même si l’enfant ne souhaite pas faire la démarche, en particulier s’il est jeune, le fait de savoir qu’elle existe lui rappelle qu’il est victime d’un préjudice qui doit être puni par la loi.
Car en matière de psychotrauma, c’est le fait de poser le mot victime qui va permettre justement de dépasser le statut de victime pour se reconstruire.

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